lundi 2 mai 2016

Témoignage, en tête de la manif du 1er mai, bloquée par les CRS rue Dausmenil.

J’étais en tête de la manif bloquée par les CRS avenue Dausmenil ce 1er mai. Mon témoignage :
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Quand je suis arrivé à la hauteur du cortège JC/JOC/UNEF la rue était barrée devant nous par un cordon de CRS. Une centaine de mètres plus loin, derrière un autre cordon de CRS, on pouvait voir d’autres banderoles, une autre partie de la manifestation devant nous.
Autour de moi, ce sont des gens de tous âges, des jeunes, des trentenaires, des quinquagénaires. La foule est calme, à l’arrêt et scande pacifiquement “libérez la manif”.


Le face à face avec les policiers s’installe, s’éternise. Un quart d'heure passe, une demi-heure. La tension monte, progressivement. “La Nation, elle est à qui ? Elle est à nous !”est repris en cœur. Une première grenade lacrymo explose, sans raison apparente. Le goût est âcre dans la bouche, mais bien insuffisant pour indisposer. Elle ne récolte que des huées. La tension monte encore d’un cran.
Je verrais bien voler quelques canettes de soda vides, rien de méchant. Bien au contraire, face à l’extrême tension imposé par les CRS, la foule est d’un calme extraordinaire. 
J’hésite à partir, la situation peut clairement dégénérer. Mais autour de moi, personne ne bouge. Pourtant, je ne vois pas des casseurs, mais des gens de tous âges, des anonymes de toutes conditions sociales et qui reprennent ce slogan “La rue est à nous”. Je ressens une volonté collective, forte : défiler le 1er mai entre Bastille et Nation est un droit, on ne le lâchera pas. On avancera, sans violence, par la seule force du nombre. Chaque mètre que l'on pourra gagner me paraît une victoire. Partir serait une défaite. Je reste.
Cette volonté collective de passer en force, mais pacifiquement est saisissante. Des bras se lèvent, paumes ouvertes, geste de paix par excellence. Mais pourtant, les slogans se font plus fort, la pression sur les CRS monte.


Une nouvelle grenade lacrymo explose. Et incompréhensiblement, le cordon de CRS recule presque aussitôt.
Nous gagnons quelques dizaines de mètres, puis nouvel arrêt durant de longues minutes. Nouveaux slogans, la foule fait du bruit, reste dense, insistante. Nouvelle grenade et aussitôt, nouveau recul.
La scène se répétera plusieurs fois. A un moment, des camions avec barrières anti-émeutes arriveront d’une rue transversale. Ils commenceront à se mettre en position pour barrer la rue, sous les huées. Puis finalement, ils partiront.
Nous avançons de nouveau. Le cordon de CRS s’ouvre enfin, mais curieusement ne se dirige pas vers les rues voisines. Ils prennent position le long du mur et nous les longeons. En pas chassé, ils nous suivent, se laissant volontairement encercler, un groupe de chaque côté de la rue. Nous avançons, pris en sandwich entre les CRS. Impression très oppressante.
Inévitablement, quelques excités les asticotent. Ils sont ultra-minoritaires, l’immense majorité veut avancer pacifiquement, conscient qu'avoir forcé le passage par la seule force du nombre est déjà une réussite. C’est cependant suffisant pour justifier de nouvelles grenades.

Et puis, sans raison apparente, les CRS décident d’arrêter à nouveau la manif. Sans sommation, ils lâchent une salve de lacrymogènes juste à ma hauteur. Je suis asphyxiés, je ne vois plus rien, je recule en toussant. Autour de moi, tous refluent...
Je crois distinguer qu’une poignée de manifestants répliquent. Beaucoup, beaucoup d’autres crient de continuer à avancer, de les empêcher de bloquer la rue par la seule force de notre nombre. C’est ce qui aura lieu.

Il y a trop de monde. Les CRS ne parviennent qu’à dégager la moitié de la rue, mais malgré le nuage de lacrymo, des centaines de personnes continuent à avancer sur l’autre moitié. Nous traversons en toussant, les yeux pleurent. Mais les CRS renoncent à nous bloquer.
Nous récupérons notre souffle. Je donne un peu de sérum phy à une manifestante qui a du mal à se remettre. Les CRS sont toujours là, le long du trottoir à deux mètres de nous à peine Nous continuons à avancer.
Enfin, au carrefour suivant, ils se replient dans une rue adjacente ; sous les huées : “CRS cassez-vous, la rue est à nous !” mais sans violence.
Nous l’avons fait, nous avons forcé le barrage des CRS, non pas par la violence d’une bande de “casseurs”, mais par la seule force du nombre, d’une foule compacte, unie, déterminée, poussée par toute une manif derrière nous.
Enfin, nous arrivons Place de la nation. Avec tout ce qui précède, je m’attends à tomber en pleine scène de guérilla urbaine. Pas du tout. Les premiers arrivés se reposent tranquillement sur la pelouse, un camion vend des merguez. De nombreux manifestants prennent un verre bien mérité à la terrasse d’un café. Même les CRS ont le casque à la ceinture et nous regarde passer à côté d’eux tranquillement tandis que nous quittons la place.

Tout ça pour ça ?

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